2.d. Folie et littérature; analyse du "Horla".

    En général, la folie et la littérature sont souvent liées. Depuis toujours, la folie est présente dans la littérature. En 1888, Verlaine publie les poètes maudits.  Il fait naître l’image du poète maudit, qui, après des pulsions autodestructrices, sombre dans la démence puis finit par mourir sans avoir été reconnu à sa juste valeur. Les poètes maudits pourraient, par exemple, être Baudelaire, Poe et Gérard de Nerval.

Ce dernier, auteur du XIXe siècle, après de nombreuses souffrances, et crises de folie qui lui ont valu l’internement, est retrouvé pendu, tel le « poète maudit ». Le roman gothique, véritable source du fantastique est apparu au XVIIIe siècle, puis s’est transformé avec le roman frénétique et a évolué dans le temps. Nous avons donc décidé d’analyser un exemple qui démontre la place importante qu’a la folie dans la littérature, surtout dans le genre fantastique. Le Horla est une nouvelle de Guy de Maupassant écrite en 1887, c’est un récit fantastique sous forme de journal intime. Le texte commence le 8 mai et se termine le 1o septembre, l’année n’est pas précisée. En cinq mois, le personnage subit de multiples péripéties et ne termine pas son journal. Les derniers écrits, le 1o septembre, laisse supposer que celui-ci se sucide. Maupassant, ayant terminé sa vie dans une clinique et un état végétatif, l’on peut donc se demander si l’état mental de l’auteur est lié à la folie du personnage ou à l’écriture de cette nouvelle. Comment l’auteur, Maupassant, représente-il la folie dans Le Horla ? Nous parlerons tout d’abord du fantastique, un genre littéraire, puis du personnage principal. Pour finir, nous analyserons différents passages du journal intime pour comprendre comment l’auteur traite-il la folie.


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            Le Fantastique est un genre littéraire qui se développe au XIXe siècle. Selon Roger Caillois, un écrivain français qui écrit De La Féerie A La Science-fiction, « le fantastique manifeste un scandale, une déchirure, une irruption insolite, presque insupportable dans le monde réel. » Ainsi, un texte fantastique se reconnaît par un début réel, où tout est logique et réel. Ensuite, un élément mystérieux fait son apparition, l’histoire plonge dans un climat irréel, le personnage puis le lecteur doute. Deux interprétations sont possibles : premièrement, le personnage est fou, rien de tout ce qui s’est passé n’existe, le personnage a imaginé tout cela. Ceci est donc l’interprétation rationnelle faîte par le lecteur. Deuxièmement ; le personnage n’est pas fou, les éléments surnaturels se sont vraiment passés, et existent. Malgré l’interprétation que choisit le lecteur, ce dernier doute toujours. Et s’il s’était trompé d’interprétation ? S’il avait mal compris l’histoire ? Tout cela est donc ambigu, incertain, l’hésitation s’installe. Dans Le Horla, le personnage est tout d’abord très rationnel, ne montre aucun signe de folie. Puis, le 12 mai, la maladie commence peu à peu à s’installer en lui avec la naissance de la peur, et le 5 juillet, un élément surnaturel se produit : quelqu’un a bu l’eau de la carafe posé sur la table de nuit du personnage. Après cet événement, le personnage est en constante oscillation entre folie et rationalité, le doute est toujours présent.

            Pour compléter le doute, d’autres aspects du fantastique sont aussi présents. Tout d’abord ; on peut désigner la peur. La lecture d’un texte fantastique provoque souvent la peur. Le psychanalyste Freud décrit cela dans L’inquiétante Etrangeté, qui analyse l’angoisse due à la perte du côté rationnel et donc rassurant, de la vie quotidienne. Ainsi, le fantastique serait un révélateur de ce que l’humain ne veut pas voir : la nuit, la mort, le sang… Dans Le Horla, nous découvrons un personnage qui, terrorisé, choisira peut-être de mourir pour ne plus être le jouet de la peur. Le mal s’ajoute ensuite à ces deux aspects. Un personnage mal-en-point, souffrant et subissant un mal-être constant apparaît aux yeux du lecteur. Peu de textes fantastiques évoquent un univers où le bonheur se reflète, ou tout va bien dans le meilleur des mondes. La plupart du temps, les éléments fantastiques qui apparaissent au fur et à mesure sont néfastes pour le personnage. Pour cette raison, nous pouvons donc différencier le fantastique du merveilleux. Dans ce dernier genre, l’apparition du surnaturel est positive, belle et surtout ; elle est acceptée par les personnages et donc par le lecteur. Dans Jacques Et Le Haricot Magique, le personnage n’a pas peur et n’hésite pas à escalader le haricot qui a poussé jusqu’aux nuages pendant la nuit. Le phénomène surnaturel est entièrement accepté, contrairement à ceux présents dans le genre fantastique.

            Dans le Horla, les phénomènes surnaturels se succèdent, amenant le lecteur jusqu’à la folie, et peut-être même la mort. Le personnage ressent tout d’abord un malaise, une souffrance tout d’abord physique, puis psychologique. Malgré l’accalmie qui suit le voyage au Mont Saint-Michel où un moine lui révèle l’existence de l’invisible, son mal le reprend. Le 4 juillet, il sent quelqu’un accroupi sur lui, qui boit sa vie entre ses lèvres ; il est très angoissé. Puis, sa carafe d’eau et ensuite de lait, se vide la nuit. Au mois d’août, il entend des bruits de verre qui se cassent alors que tout le monde dors, il voit une rose se briser devant lui et il est poussé à commettre des actes involontaires, comme par exemple aller cueillir des fraises et les manger, ou rester cloué à son fauteuil. Peu après, il aperçoit les pages d’un livre se tourner toutes seule et ne voit plus son reflet dans le miroir. Par l’écriture de ses phénomènes multiple et angoissant, on peut comprendre que l’auteur parle de lui à travers le personnage. En 1884, Maupassant est victime d’hallucinations, de crise d’angoisse ; il sent une force hostile et mystérieuse près de lui. Ensuite, suite à la syphilis, ses facultés intellectuelles sont réduites et il vit dans un climat de peur. Nous pouvons donc dire qu’à travers son personnage, l’auteur a traduit la folie qui l’oppressait.

 

            Au fil de la nouvelle, le Horla devient un personnage à part entière.  Au début, celui-ci n’était qu’un « on » ou un « il », il n’était pas nommé autrement que part ces pronoms : « on a encore bu toute ma carafe cette nuit » (le 5 juillet). C’est le 19 août que ce personnage lui « crie son nom : le Horla. » Nous pouvons supposer que l’auteur transcrit la « force mystérieuse » qu’il sent près de lui dès 1884 grâce au personnage. Les interprétations du nom de « Horla » sont nombreuses. Cela pourrait être quelqu’un qui est absent, qui n’existe donc pas « hors », mais aussi quelqu’un qui est « la », donc présent, et vivant. Cela peut aussi indiquer le fossé entre le monde réel et le surnaturel, car Maupassant vaquait de l’un à l’autre. Le Horla ne peut être un fantôme car il boit de l’eau et du lait pendant la nuit et il peut s’interposer entre le personnage et le miroir (19 août.) Cependant, on ne sait quelle forme il possède, ce qui le rend encore plus intrigant. C’est en lisant la Revue du Monde scientifique, le 19 août, qu’il se rappelle avoir vu passé un trois-mâts brésilien devant chez lui, le 8 mai. Le journal parle d’une épidémie de démence qui ravage la ville de Sao Paulo. Cela lui permet de se rappeler aussi les paroles du moine lors de son voyage au Mont Saint-Michel : « le règne de l’homme est fini », un être nouveau arrive. Le personnage subit donc différentes émotions qu’il ne peut pas forcément contrôler.

            Les sentiments ressentis, sont donc pour la plupart, néfaste : le narrateur souffre. Le 12 mai, le mal le prend. Il commence à être fiévreux, malade, insomniaque : « j’ai la fièvre, une fièvre atroce, ou plutôt un énervement fiévreux ». En revenant de voyage, au début du mois de juillet, ses cauchemars commencent, il devient angoissés et se posent maintes questions sur l’existence d’un autre être.  Le 1o juillet, il se considère comme fou : « Décidément, je suis fou », mais le doute est toujours présent. Cela engendre le doute du lecteur qui grandit au fur et à mesure du livre dont il ne peut se débarrasser car l’auteur manipule phrases et mots pour provoquer le doute absolu, le lecteur peut ainsi se questionner sur cette nouvelle des mois durant. Au mois d’août, le narrateur n’est plus libre de ses mouvements, il ne peut plus décider : « une force occulte le pousse à rentrer chez lui », il ne peut prendre sa voiture et fuir à Rouen même si ce désir est grand. Après plusieurs phénomènes et expérience les plus étranges les unes que les autres, il décide de mettre le feu à sa propre maison.

            C’est ainsi que se termine la nouvelle. Après un doute sur la mort du Horla, le personnage n’y croit pas et envisage le sucide, la nouvelle se termine sur cette phrase : « Alors… alors… il va donc falloir que je me tue, moi !... » Encore une fois, le lien avec l’auteur peut-être fait car Maupassant fait une tentative de sucide en 1892, peu après être entré dans la clinique du docteur Blanche. Malgré cet acte extrême (mettre le feu à sa maison), la libération est impossible, la domination du Horla sur le narrateur est implacable. C’est dans un état second que, le 1o septembre, le personnage observe attentivement sa maison qui brûle et trouve cela beau : « un bûcher horrible et magnifique ». À cause de son obsession, il en vient même à en oublier ses domestiques, qui finissent carboniser dans sa maison. Pour finir, on ne sait si ce dernier se tue ou non.

 

            Pour comprendre comment la folie se traduit au long de la nouvelle, il est utile d’analyser deux passages. Tout d’abord le 5 juillet, puis le 3o août. Le premier extrait commence par une question et prépare le lecteur à un récit peu commun, surnaturel : « ce qui s’est passé (…) est tellement étrange ». Le personnage doute, il se demande s’il est fou. Comme tout le long du récit, le pronom personnel « je » est utilisé, ici le temps majoritairement utilisé par l’auteur est le passé simple, temps d’une action qui n’est pas habituelle. Le personnage nous raconte la nuit qu’il a passé dans l’angoisse, nous comprenons cela grâce au champ lexical du malaise vécu : « sommeils épouvantables », « secousse plus affreuse encore », et l’homme se réveille peu après s’être endormi. Il est donc insomniaque, ce qui démontre qu’il n’a pas un état mental parfait car il ne trouve pas paisiblement le sommeil. L’auteur  utilise les mots « figurez-vous », comme s’il voulait que le lecteur se sente directement impliqué dans l’histoire. Le champ lexical de la mort est ensuite présent : « assassine », « couteau dans le poumon », « couvert de sang », « qui va mourir ». Ainsi, quand le personnage généralise en parlant d’ « un homme », il parle en fait de lui et de cette peur de mourir, assassiné dans son sommeil et souffrant. C’est quand il veut se servir de l’eau et qu’il remarque que la carafe est vide et qu’il plonge dans la peur. Les nombreux points d’exclamation expriment la surprise du personnage devant cette découverte. On comprend que le narrateur est en état de choc car cette phrase « Elle était vide ! » est répétée et mise en valeur avec l’adverbe « complètement », puis le lecteur ressent « une émotion si terrible », ce qui confirme son état ; il souffre. Le champ lexical des cinq sens est utilisé :

«  pour regarder », « je le contemplais », « des yeux fixes », « mes mains tremblaient », le narrateur essaye d ‘analyser son état, de comprendre. Puis, les phrases deviennent courtes et interrogatives, ce qui accentue le doute et l’état de confusion du personnage. S’en suit ensuite la rationalisation : le personnage essaye de se convaincre qu’il est somnambule en affirmant ce qui n’est qu’une hypothèse : «  Alors j’étais somnambule, je vivais, sans le savoir, de cette double vie mystérieuse. » Il essaye aussi de se persuader que deux êtres vivent en lui en généralisant grâce au « nous », ce qui peut indiquer un cas victime de schizophrénie, qui est une forme de folie. Malgré tout, le doute est présent car l’homme se dit « sain d’esprit » et « plein de raison », il se sent seul et incompris. Pourtant, ce qu’il a vécu reste quand même un phénomène inexplicable et irrationnel, ce qui révèle de la folie dans cet extrait, que ce soit par l’état du personnage qui essaye tant bien que mal de se justifier, ou par l’état de l’auteur, qui vit dans la peur.

            Nous pouvons ensuite apercevoir que l’extrait du 2o août est très court, il ne comporte que quelques lignes. L’obsession du narrateur domine maintenant toute la nouvelle, il n’a plus aucun autre centre d’intérêt hormis la mort de l’être invisible. Les phrases sont devenues très courtes, parfois sans verbes et interrogatives : « Le tuer, comment ? », « Le poison ? » Il y a donc pris la décision d’en finir avec sa souffrance grâce à la mort du Horla. Avec l’utilisation du « mais », on apprend qu’il ne va le tuer avec du poison, puis la distinction entre l’humain et le Horla est très clair, et renforcée par le choix des pronoms : « nos poisons (…) son corps imperceptible. » Le mystère plane donc toujours sur l’espèce du Horla. Le doute est toujours très présent, les phrases deviennent de moins en moins sensées, le sens et la rationalisation du narrateur se perd ; il est peut-être donc sous l’emprise de la folie. Celle-ci est encore visible ensuite car la suite est encore plus confuse. Le personnage répète le mot « non » suivit de points de suspension qui montre eux aussi le doute. Malgré les mots « sans aucun doute », le narrateur n’arrête pas de se questionner : « Alors ?...alors ?... » et il ne prend aucune décision quant à la mort du Horla ce jour. L’incertitude plane encore une fois au-dessus des épaules de cet homme.

 

 

           

 

            Le cadre fantastique et le doute qu’il engendre aide beaucoup l’installation de la folie par l’auteur. Les esprits matérialistes sont mal à l’aise en lisant des textes de ce genre car il exprime l’incertitude, le doute constant et la possibilité de croire en des événements surnaturels. L’hésitation et l’ambiguïté sont  des outils pour représenter la folie : le personnage est parfois très rationnel, il réfute l’idée d’un autre être, mais l’acte extrême qu’il commet à la fin de la nouvelle (mettre le feu à sa maison) démontre que cet homme n’est pas lucide, voire entièrement fou. Nous voyons aussi le 14 août qu’il est victime d’aboulie, c’est-à-dire une altération pathologique de la volonté, une incapacité à décider, ce qui est donc à mettre en lien direct avec la folie. Puis, c’est par l’utilisation d’une ponctuation exprimant le doute et la surprise, des phrases parfois (très) courtes et des propos insensés, que l’auteur traduit la folie qui l’opprime en mots et en texte. Il garde cependant une certaine lucidité car il réussit à écrire des nouvelles toute sa vie une foule de livres portant sur différents sujets et différents genres littéraires (fantastique, naturalisme…) La folie de l’œuvre et la folie de l’artiste sont donc souvent liées.

 


Image: Portrait de Guy de Maupassant.

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